LE VENTRE DE L’ÊTRE pAr jean pronovost
Ce paysage illustre avec imagination les liens profonds qui unissent le monde terrestre et le monde souterrain, de même que celui des vivants et celui des esprits. La montagne qui se hisse jusque dans les nuages a certes inspiré la structure artificielle de la montagne russe et du gratte-ciel qui sont représentés, n’empêche que ces constructions humaines ne résisteront pas à notre négligence, et encore moins à l’épreuve du temps. Déjà, la montagne russe est rouillée et délabrée : elle est passée d’une attraction auparavant divertissante qui nous propulsait vers les hauteurs en une construction aussi corrompue que dangereuse. Et si elle est recouverte de vignes et de feuillages divers, c’est signe que la nature est en train de la décomposer et de se la réapproprier. La nature nous est supérieure : elle foisonnera de nouveau.
On remarque qu’au centre de la peinture, la végétation que l’on trouve dans Coney Island cède le pas à celle qui pousse dans le désert du Mexique, dans ce cas-ci trois cactus. Ces derniers, qui ensemble représentent une pyramide protectrice, sont enracinés dans une terre sacrée des Huichols. Symbole de vie spirituelle, un aigle est perché sur l’un de ces cactus. À la droite de la peinture se trouve une meute d’hyènes. D’un esprit maléfique, elles sont entourées d’un nuage de pollution toxique qui émane de la canalisation de métro sous-jacente. Venues de la ville pour défier l’aigle, ces hyènes représentent ici la rapacité et le matérialisme, voire tout ce qui gangrène notre vie spirituelle.
La dimension symbolique de l’œuvre s’accroît à mesure que nous pénétrons son univers souterrain. À la gauche se trouve un puits de mine duquel sont extraits de l’or et de l’argent, ainsi que d’autres minéraux et ressources de la terre, avec pour seul souci la rentabilité immédiate. Évidemment, de telles activités sont lourdes de répercussions pour l’être humain et l’environnement : comme quoi on peut aussi bien atteindre de nouveaux sommets que sombrer encore plus bas. Si l’on redéplace le regard vers le centre de la peinture, on voit que le cactus sur lequel l’aigle est perché prend racine sur le cœur d’un dieu maya. Ensemble, ces trois éléments symbolisent les liens profonds qui unissent le monde souterrain à celui des esprits, de même qu’à la terre. Du monde souterrain semble vouloir émerger un squelette de crocodile dont la forte aura dégage une énergie spirituelle somme toute vengeresse. À la droite de la peinture se trouve un tunnel de métro, lui aussi en quelque sorte un puits de mine. En effet, lui aussi est excavé, à la différence près que sa rentabilité dépend de la tarification des services de transport aux voyageurs, et du fait qu’un voyageur arrivant plus rapidement au travail contribuera à générer encore plus d’argent. Ainsi, que l’on évolue sous terre ou à sa surface, ce qu’il est important de saisir ici, c’est que tout ce qui vit est en interrelation, voire en interdépendance. Pour le saisir, il suffit de s’éveiller à tout ce qui nous entoure. Et maintenant, des lumières apparaissent dans le tunnel. Le train arrive. Est-ce que vous y embarquez ou pas ?