EL ULTIMO NEVADO pAr jean pronovost
Pour réaliser cette œuvre imaginative, fantastique et d’une très grande portée environnementale, l’artiste s’est inspiré de ses moments passés en Bolivie. D’emblée, on remarque que la couleur prédominante des nuages épais et des traînées de fumée — soit une palette de gris — produit une sensation sinistre et étouffante. On sent que l’air est vicié : on ne saurait le respirer, ni se nourrir ou s’abreuver en ce lieu d’ailleurs. Pour nous avertir du marasme dans lequel notre monde est en train de plonger, l’artiste attire notre attention avec des couleurs vives et éclatantes faisant fortement contraste avec celles des nuages et de la fumée. Par ce moyen, on arrive à comprendre que la société industrielle, aussi généreuse soit-elle envers les pays développés comme le nôtre, génère une telle pollution que celle-ci altère, voire détruit les populations et l’environnement du tiers-monde. Tout se passe comme si l’on accordait vraiment une plus grande valeur aux pierres et aux métaux précieux qu’aux êtres vivants. Autrement dit, la rentabilité passe avant tout. Qu’importent les conséquences !
En arrière-plan se trouve une montagne couleur brun et cuivre vifs qui témoignent d’une abondance en minéraux, dont l’argent, le zinc, le plomb, le tungstène, l’or, le lithium et le fer. Symbole jadis majestueux et sacré, la montagne, dépouillée ici de ses richesses minérales par l’extraction minière, a perdu son intégrité et n’a plus rien de sa beauté naturelle. Qui plus est, la dégradation et la pollution qui en résultent atteignent et contaminent même les habitants et leurs autres ressources. S’il en est ainsi, c’est à cause de l’usine figurant au centre de la peinture, qui répand une énorme quantité de fumée toxique dans l’air et le long des eaux. Sur le côté gauche de cette installation minière se trouve un rocher crâniforme, qui constitue une représentation supplémentaire du caractère mortifère et menaçant de toute cette perfide industrie.
Dans la partie inférieure de l’œuvre, un lama bicéphale se tient sur une parcelle de terre contaminée, comme en témoignent le sol jaunissant et desséché ainsi que les émanations de soufre qui en remontent de part et d’autre. Animal doux et d’une grande beauté, le lama, considéré comme sacré par les peuples andins, est ici en pleine mutation et altération génétique à cause de notre cupidité et de notre insouciance. Toutefois, n’oublions pas que la nature est puissante et ingénieuse : en dépit de la multitude de mutations que ses créatures subissent — deux têtes, deux paires d’yeux, des tentacules sortant de nulle part ou d’autres caractéristiques épouvantables que la pollution chimique produit sur ces animaux —, elle trouvera quand même le moyen de reprendre les rênes de la situation. Puis, à la droite de la peinture se trouve un ancien dieu Mochica au corps d’arthropode, plus précisément de crevette à flancs rayés. Furieux et vengeur, il est outré de voir à quel point nous avons altéré, voire détruit le monde : les animaux et les montagnes que son peuple adorait jadis n’ont plus qu’un semblant de valeur spirituelle, et les eaux, l’air et la terre sont tous contaminés. Se trouve derrière le dieu Mochica un immense et magnifique corail à crête (Catalaphyllia jardinei) aux allures de monstre surnaturel et mythologique. À l’instar du lama, il est victime des mutations provoquées par la pollution environnementale. Cependant, ces mutations n’ont pas seulement porté ce corail à des proportions colossales, mais elles lui ont aussi attribué les fonctions d’un portail spatio-temporel. C’est par l’entremise du corail que le dieu Mochica, au terme d’un voyage plurimillénaire, s’est rendu jusqu’à notre époque pour nous avertir des risques de notre mode de vie polluant pour notre avenir. S’il est venu d’un temps aussi lointain, c’est pour remettre nos pendules à l’heure avant qu’une horde de lamas bicéphales ne vienne régler notre compte.