DRUNEMETON ET LES CORBEAUX

2020
Acrylique Sur Toile
170 x 205 cm 

Peintures

DRUNEMETON ET LES CORBEAUX PAR jean pronovost

La peinture est née d’un pèlerinage épique de l’artiste en Angleterre, qui paraissait prédestiné. Aimanté par la région côtière de Cornouailles, il souhaitait explorer les contrées mystiques séculaires où rôdaient jadis les Celtes. Cette aventure, qu’il caressait depuis des années, s’est matérialisée comme dictée par sa destinée. Il a mis le pied à Londres sans savoir exactement comment il atteindrait sa destination, puisque le transport public ne dessert pas en novembre cette région difficilement accessible en voiture. Un mystérieux concours de circonstances doublé de la bienveillance d’étrangers lui a permis de découvrir tous les sites magiques qu’il voulait visiter. Qui plus est, le dessein de la nature a troqué pendant son séjour le climat pluvieux, humide et froid typique de la région à cette période de l’année contre un ciel ensoleillé et dégagé.

Le bois de Wistman, la forêt qui a profondément inspiré cette peinture à l’aérographe, est un lieu qui a d’emblée capté l’attention de l’artiste et a suscité chez lui un désir indomptable de l’explorer, comme si la nature elle-même l’invitait à pénétrer dans un de ses sites les plus sacrés et énigmatiques.
Drunemeton (forêt de chênes sacrée) révèle la majesté et le pouvoir tellurique de cet endroit, doté d’une grande valeur pour les Celtes. Les chênes revêtaient un caractère sacré dans la mythologie celtique. On les retrouve donc abondamment dans leur imagerie symbolique et leurs pratiques médicinales. Site préservé à l’abri de la modernité et de l’industrialisation, ce pays des merveilles est un havre sylvestre qui se dérobe au regard du monde contemporain. On est convié à un dialogue avec un passé lointain, à un entretien avec une forêt luxuriante peuplée de branches tordues et enchevêtrées, ornées de plantes grimpantes, de mousses et de lichens. Tout est intriqué et interrelié dans une matrice unifiée, un système cohérent tel que le concevaient les Celtes. Les arbres sont enracinés dans un lit de roches qui rappelle les tors (monticules sacrés composés de rochers coupés) érigés par les Celtes pendant des siècles avant l’invasion romaine. Le lieu à l’empreinte tellurique est imprégné de mysticisme. L’atmosphère sublime et magique se ressent dans chaque nuance de vert. Elle surgit de la terre pour ensorceler corps et esprit. L’air est teinté d’un brouillard ténu, comme habité par les esprits. Les effluves qui emplissent nos poumons, parfums d’alchimie et de sagesse, évoquent un mélange effervescent de mousses vertes, de champignons terreux et de braises d’un feu éteint depuis longtemps. 

La forêt enchantée recèle l’entrée sombre d’une caverne qui semble mener vers les ténèbres. Le thème de la porte d’entrée envoûtante se trouve dans d’autres œuvres de l’artiste, comme La Llegada de los Antepasados, où elle suggère de façon similaire l’existence de l’invisible. Le monde souterrain, qu’on ne semble jamais remarquer et qu’on va parfois jusqu’à refuser de voir, est aussi riche, vivant et magnifique que le monde visible sur terre. Mais il faut éviter de les voir comme deux mondes distincts. Pour les Celtes, il s’agit d’une seule entité vivante. Dans Drunemeton, les racines se confondent avec les branches, le ciel chargé de nuages prend la forme d’ondulations aquatiques et autant les arbres que les roches se transmutent en un ciel liquide qui les surplombe. En pénétrant dans la grotte, on va à la rencontre de mythes ancestraux qui révèlent le sens profond de la vie et de la nature, ainsi que les croyances de civilisations immémoriales. L’éclairage qu’ils apportent nous émancipe par rapport à notre perspective moderne, myope et très limitée.

À la porte des ténèbres confluent deux corbeaux d’un noir de jais. Porteur d’une riche histoire symbolique qui transcende des cultures anciennes et contemporaines, cet oiseau incarne souvent la métamorphose spirituelle, émotionnelle ou physique. Le corbeau est une créature astucieuse, perspicace et vigilante. Exhibant une malice qui frôle parfois l’escroquerie, il s’est vu associer au fil du temps à la sorcellerie et au mauvais présage. Chez les Premières Nations, le corbeau symbolise l’intelligence et incarne la purification de la terre et de l’esprit. Dans les traditions chamaniques, le corbeau était l’animal spirituel de choix grâce à ses pouvoirs magiques qui le rendaient protéiforme et apte à manipuler les lois de l’univers physique. Les Celtes voyaient également dans ces superbes corvidés des créatures de magie, dotées d’une sagesse prophétique et de la capacité de se métamorphoser. En raison de son lien profond avec Lug, la déité de la création et du soleil, la loi druidique interdisait de tuer un corbeau. Chez les Vikings, Odin était guidé et conseillé par deux oiseaux noirs, Hugin (pensée) et Munin (mémoire). Dans la mythologie nordique, le corbeau était non seulement une figure de sagesse, mais aussi un loyal messager qui survolait terre et mer en recueillant des renseignements qu’il rapportait à Odin. Tels les oiseaux qu’on voit souvent perchés sur les épaules d’Odin, les deux corbeaux nous scrutent ici d’un œil vif.

norse mythology painting
DRUNEMETON ET LES CORBEAUX - 2020

IMAGES EN VEDETTE

Juché sur une roche, le corbeau qui a déjà repéré l’entrée mystérieuse semble convier son complice à la découverte de l’antre. Invitation qui ne reste pas lettre morte : interpellé par l’énigmatique ouverture rupestre, le corbeau qui semble fondre sur une proie arrive dans le ciel dégagé en émergeant d’une atmosphère fluide. Ce passage indique d’ailleurs une transmutation de la matière à l’esprit. En effleurant le plafond liquide, les arbres voient leurs branches se sublimer en une brume éthérée. L’eau se transmue en une vapeur évanescente. Une alchimie opère sous nos yeux. Les ondulations de la surface aqueuse font miroiter d’étranges reflets. Le ciel au milieu du paysage bascule vers la droite, tandis que les arbres et les roches défient l’ordre naturel. Un visage dissimulé dans les branches nous regarde. Son œil, comme un portail, ouvre une nouvelle dimension et mène vers un sentier éthérique, tracé par des roches flottantes. Curieux! Les arbres qui poussent à gauche de l’entrée de la grotte deviennent des racines et à droite, une ombre orange paraît irréelle. Ombre qui n’est pas ombre puisque le soleil est absent. Voilà qui pique la curiosité de plus belle!

DRUNEMETON ET LES CORBEAUX - LE PROCESSUS

Si l’œuvre d’art provient de notre univers, elle en évoque un autre. C’est une vision qui nous offre la clef vers un autre monde, celui des Celtes ancestraux. Elle offre une perspective différente des apparences. Elle nous enseigne que le monde dans lequel nous vivons, celui que nous croyons occuper dans nos tracas quotidiens, ne représente pas l’entièreté du réel. Nos yeux sont accoutumés, hypnotisés à un point tel que nous sommes devenus aveugles à la magie qui nous entoure. Les arbres du paysage fléchissent pour former une nouvelle réalité, qui nous contraint, en tant qu’humains, à contorsionner notre pensée pour la comprendre. Au lieu d’exiger de la nature qu’elle se plie à nos besoins, c’est à nous qu’il revient d’élargir notre esprit pour la voir telle qu’elle est véritablement. Cette chênaie sacrée ouvre une nouvelle porte de la perception. Elle nous interpelle pour nous faire comprendre que la nature excède largement ce qui s’offre à notre vision ordinaire. Nos yeux doivent capituler devant cette forêt merveilleuse et la culture immémoriale des Celtes. Les deux corbeaux perçoivent la véritable existence du monde, dans toutes ses dimensions, ses configurations et sa vérité complexe. En nous guidant, ils nous aident à voir les choses telles qu’elles sont.

Sculpteur, muraliste, peintre, artiste et spécialiste de l’aérographe.

Montreal, Quebec, Canada
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