« Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes le matin, deux à midi, et trois le soir ? » Pour résoudre l’énigme du Sphinx, il faut d’abord se connaître soi-même, car si, en plus de se méconnaître, on se trompe, cette créature se fera un plaisir de nous dévorer !

Figure symbolique marquante et intemporelle, le Sphinx protège la civilisation chez les Égyptiens et, dans diverses œuvres du théâtre et de la mythologie grecs, remet l’homme en question par son énigme. Symbole antique d’équilibre et de justice, il est d’une nature duelle : sa magnifique silhouette féminine prolongée de pattes et d’une queue de lion représente la puissance de la terre, tandis que ses ailes d’aigle représentent l’air et l’esprit. Par cette dualité présente en chacun de nous, nous sommes amenés, individus et société, à nous remettre en question, à préserver de notre mieux l’équilibre entre, d’une part, matérialisme et cupidité, et de l’autre, idéalisme et compassion. Le Sphinx symbolise la quête ultime de l’humanité, c’est-à-dire s’élever au-delà de sa nature animale pour enfin se réaliser. Il évoque l’espoir de surmonter penchants et vices afin de vivre de manière toujours plus harmonieuse et juste. D’une représentation de roi chez les Égyptiens à celle de déesse chez les Grecs, il en vient aussi à symboliser la fertilité chez ces derniers, signe qu’il est toujours possible de renouveler les idéaux auxquels nous aspirons.

Dans cette sculpture, on voit le Sphinx plaquer un banquier contre un coffre-fort en lui enfonçant fermement les genoux dans la poitrine, ce qui lui fait vomir de la monnaie. Par cette scène qui dénonce l’avidité et l’abus de pouvoir qui sévissent dans le monde moderne, le Sphinx demande à ce que la justice universelle soit rétablie. Le banquier, lui, représente les puissants et les grandes sociétés qui mentent au public et le volent pour s’enrichir davantage à ses dépens. En guise d’illustration de l’équilibre qu’il nous est impératif de rétablir, on voit le Sphinx lutter pour arracher le maillet de juge (du côté gauche) et le lingot d’or (du côté droit) des mains dodues du banquier. Le coffre-fort contre lequel est plaqué le corps bouffi de ce dernier représente le Trésor public que les grandes sociétés avares et lui-même ont dilapidé. Si quelques lingots d’or s’y trouvent encore à l’intérieur, c’est parce qu’il n’a pas encore eu l’occasion de s’en emparer. On comprend que de la domination du matérialisme naît un sentiment de vide abyssal qui anéantit ce qu’il y a de plus précieux chez l’homme, à savoir la compassion, l’idéalisme, voire son essence. Autrement dit, nous sombrons dans la décadence. Lorsque nous sommes coupés des racines de notre être le plus profond, nous sommes non seulement désorientés, mais aussi une proie facile pour les banquiers, les grandes sociétés… et le Sphinx.